Notre imaginaire collectif est assez fourni quand on parle du roseau. Habitant des zones humides, frêle mais résistant…
Je plie, et ne romps pas.
Jean de la Fontaine. Le chêne et le roseau
Mais tout comme la paille dans l’habitat, on connaît mal ses qualités. Et on le voit mal dans le milieu du bâtiment.
La résistance aux torsions de la célèbre fable n’est pas la seule propriété du roseau. En France, nous connaissons un peu son usage dans la technique des toits de chaume. Une technique sortie d’une autre époque.
Pourtant, ses qualités cachées permettent de dépasser largement le domaine des toitures. Même si ce matériau a progressivement été oublié et mis de coté.
Grâce à la médiatisation de la construction réalisée par RizHome en Bretagne, le roseau revient sur le devant de la scène de la riche panoplie des matériaux écologiques, bio-sourcés. On le présente comme une alternative crédible aux matériaux polluants et/ou en phase de raréfaction.
Un mode de construction millénaire
L’utilisation du roseau est millénaire, on l’utilisait déjà pour la construction des murs de Babylone, comme chaînage avec un mortier de bitume.
On retrouve aussi ses traces sur des bas reliefs sumériens qui datent de -3000 ans.
Un peu plus récemment, des recherches archéologiques témoignent de leur usage en toiture chez les celtes avec une durabilité proche du siècle.
En fait, le roseau n’est pas une plante si exotique que cela. La France compte quelques très belles roselières, certaines encore exploitée, comme en Camargue (5000 ha dont 2000 ha d’exploitations), mais aussi dans le Morbihan.
Le roseau pousse en abondance et bonifie son espace
Le roseau, par rapport au bois et à ses dérivés, a une capacité de régénération extrêmement rapide puisqu’il suffit d’un an pour qu’il repousse et soit exploitable. Ce cycle coïncide d’ailleurs avec la qualité optimale du matériau, après plusieurs années de coupe.
Il faut en effet plusieurs coupes pour obtenir le roseau fin qui s’adapte parfaitement aux besoins de la construction.
Le roseau pousse dans des régions humides en bordure de lacs, d’étangs, de marais et participe à l’épuration naturelle et à la propreté des fossés, lacs et étangs. Un peu comme une station d’épuration.
De quoi apporter un autre regard sur ces végétaux qui pourraient sembler invasifs…
En effet, ils filtrent les matières en suspension, décantent, fixent certains métaux lourds, stockent une partie du carbone (qui deviendra de la tourbe).
Et pour couronner le tout, les roseaux ont la capacité d’assimiler des polluants tels que le nitrate, le cyanure, le phosphore…
Coté faune, les roselières permettent aux oiseaux vivant dans les zones humides de se nourrir, de se protéger des prédateurs et d’y nicher. Elles participent donc au développement ou au maintien de la biodiversité.
Vous trouverez ici, le premier inventaire des roselières en France Métropolitaine réalisée par l’ONCFS.
Culture du roseau ?
L’exploitation du roseau a cela de particulier : il suffit de le couper.
A peu de chose près, elle se résume à cela. Car le roseau est une plante rhizomatique. Pas besoin de la planter, de l’irriguer, d’ajouter des intrants (pesticides, engrais)… Le roseau pousse tout seul. En un an, la récolte est prête.
Et pour couronner le tout, il dynamise la faune et la flore locale.
Les propriétés du roseau pour la construction
Le roseau vivant dans les milieux humides se comporte particulièrement bien au contact de l’eau : il est quasiment imputrescible, demande peu d’entretien.
On estime ainsi sa durée de vie en parement de constructions récentes à 80 ans.
Voyons le panorama de ses qualités.
- il est léger : est-ce une qualité dans le bâtiment ? Oui, pour sa manipulation et son transport qui nécessite moins d’énergie que des matériaux plus denses
- isolant, il est ! Grâce à ses fibres végétales qui emprisonnent l’air.
- et acoustique, pour les mêmes raisons
- hydrophobe, par nature
- il pousse, et donc, se renouvèle rapidement, comme nous l’avons vu. Il peut ainsi alimenter durablement en matériaux de constructions une région. A moins bien sûr de gros changements climatiques
- il nécessite peu de transformation : pas de traitement contre les insectes ou de protection contre l’humidité.
- esthétique, dans son état brut !
- et est… économique : pour toutes les raisons précédentes !
Son utilisation
Dans la maison individuelle conçue par RizHome (Mireille Avril), lauréate du prix EcoVisionnaires en septembre 2018, le roseau est utilisé comme isolant et en parement.
Les concepteurs décident de se servir des déchets d’entretien et du roseau en tige entière.
Des coffrages en bois sont remplis de fibres en vrac et montés en murs. Le mur est lui-même recouvert de bardage en roseaux réunis en bottes par des attaches « vissé-fermé ».
Cette double technique assure étanchéité et isolation.
Plus généralement, on peut utiliser le roseau pour les fonctions suivantes :
- couverture de toit (type chaume). La technique du chaume de roseaux est aussi étanche que la tuile pour un poids moindre et une durée de vie comprise entre 25 et 50 ans.
- bardage : pas besoin d’enduit, de peinture, d’entretien pour une durée de vie estimée à 80 ans.
- constructions auto portantes légères
- isolant en vrac dans des caissons de bois
- pare pluie/pares soleils (canis)
- paillage
- phytoépuration
- fibre pour adobe
Pas mal pour un petit végétal qui rivalisait déjà avec un chêne du temps de la Fontaine !
La structuration de la filière
Bon, sur le papier, le roseau n’offre que des qualités. Il a pourtant un défaut et pas des moindre : sa notoriété, son utilisation plus que confidentielle, et des roselières en reculs.
Toute la filière est à construire. Mais avant cela, le roseau doit faire ses preuves pour montrer in situ que ce n’est pas un baratineur.
D’où l’importance du travail de RizHome, de Mireille Avril et de Clémence Cazeneuve, architecte qui comptent parmi les pionniers dans son usage.
Ensuite, une fois la confiance retrouvée, c’est au tour de la filière de se structurer :
- identifier les ressources mobilisables
- organiser les récoltes et la chaîne de transformation
- former les acteurs et diffuser le savoir-faire, la technique
- proposer l’offre en solution alternative aux constructions… traditionnelles
Bref un travail de pionnier, pour un matériau que l’on utilise depuis des millénaires.
Alors on remplace le béton par le roseau ?
Est-ce que l’on pourrait utiliser massivement le roseau en France pour la construction ? C’est vrai, avec ce cumul indécent de qualités, on pourrait légitimement se poser la question.
Mais ce ne serait retomber que dans ces anciennes tendances. Si l’on pense aux roseaux, c’est pour sa nature renouvelable. Et ce n’est pas parce que l’on découvre un filon qu’il faudrait l’user jusqu’à la moelle.
Un usage pertinent serait déjà de le promouvoir dans les régions dont il est issu et qui connaissent déjà une tradition de culture et d’usage. L’erreur serait de le greffer et d’en faire une monoculture.
A titre personnel, je le vois bien dans le patchwork de plus en plus vaste des techniques de construction du futur.
En savoir plus :
Rizhom : Mireille Avril 06 23 93 69 76
rizhome@rizhome.fr
Image par Franck Barske de Pixabay
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Incroyable d’envisager ce type de matériau pour construire une maison. En Amérique du Sud je me souviens avoir vu de telles constructions mais je n’avais même pas imaginé qu’il était possible de faire la même chose ici. Merci pour l’ouverture d’esprit Geoffrey !
Merci Nicolas ! Oui, cette technique reste encore assez exotique en France…
Quel article super intéressant ! Je suis en train de réfléchir à construire une maison en matériaux “ecolo” , mais je n’aurais jamais pensé au roseau. En terme de coût est ce également efficace ?
Tout dépend de la manière dont vous sourcez les matériaux. Selon la région, il y a des alternatives pour la partie isolation.
Pour le parement, comme la filière n’est pas très structurée, il faut consacrer pas mal de temps qui est un critère à prendre en compte avec l’aspect financier.
C’est juste génial !!! J’avais jamais imaginé pouvoir utiliser ce matériau pour construire une maison. Nous envisageons construire une maison écologique, je vais garder cette technique en mémoire pour en discuter avec mon mari.
Un super article qui donne encore une alternative intéressante pour construire sain et respecter l’environnement. Je vois bien une haie de miscanthus dans le jardin pour se cacher des voisins, c’est une intéressante alternative aux haies classiques, ça demande beaucoup moins d’entretien et c’est bon pour la planète 🙂
C’est juste fantastique que l’on puisse remplacer du béton par du roseau et en plus encourager la faune et la flore. J’aime beaucoup les maisons en roseaux en Irak, très romantiques. Bien que les maisons modernes soient belles aussi et elles ressemblent vraiment à des maisons dites « traditionnelles ». Merci pour cet article 😊
excellent ! merci pour l’idée de ce matériau auquel je n’aurais pas pensé !
Et je suis séduit par l’éventualité de faire pousser des roseaux à coté de chez soi pour y aller piocher ensuite en cas de réparations.
Merci, Geoffroy, pour cet article découverte qui combine histoire, géographie et propriétés du roseau. En existe-t-il plusieurs variétés? Au Québec, où je me trouve, on dit que le roseau commun est arrivé dans certaines régions il y a 90 ans. Et les articles qu’on lit le tiennent habituellement pour une plante invasive! Je suis heureuse de voir qu’on peut de regarder d’un autre oeil. Peut-être pourras-tu te faire connaître de unpointcinq.ca, un site et une infolettre que tu aimeras sans doute découvrir. Bien cordialement,
Bonjour, il est très intéressant cet article sur le roseau mais pourrait on savoir quel est sa résistance aux vents. Notamment aux tempêtes ?!
Bonjour Sophie,
merci pour votre commentaire.
Je pense que pour avoir un maximum de précision et de retour d’expérience sur le sujet de la résistances du roseau, je vous suggère de contacter :
Rizhom : Mireille Avril 06 23 93 69 76
rizhome@rizhome.fr
Bonne journée !