Béton d’après-guerre à Royan : Concilier patrimoine, durabilité et écologie

La ville de Royan, symbole éclatant de la reconstruction d’après-guerre, se trouve aujourd’hui confrontée à un défi majeur : comment préserver son patrimoine bétonné face aux agressions du temps et aux exigences écologiques modernes ? L’église Notre-Dame de Royan, chef-d’œuvre de Guillaume Gillet récemment rénovée, illustre ces enjeux complexes. Mais derrière cette réussite, se cache une problématique plus large concernant l’ensemble du parc immobilier de la reconstruction royannaise.

Des pathologies spécifiques aux bétons aggravées par l’environnement marin

Comme le souligne l’étude d’Infociments, la corrosion des armatures représente la première cause de dégradation des structures en béton, représentant à elle seule 47% des pathologies identifiées à l’échelle européenne. À Royan, cette problématique est exacerbée par son environnement côtier particulièrement agressif.

Deux phénomènes y sont particulièrement destructeurs : la carbonatation du béton et la pénétration des chlorures. En bord de mer, l’air véhicule naturellement des sels marins qui pénètrent dans le béton et attaquent les armatures métalliques. Celles-ci, en s’oxydant, gonflent et font éclater le béton d’enrobage. L’alternance de phases d’humidité et de séchage, caractéristique du climat atlantique, accélère ce processus de dégradation.

Les bétons utilisés lors de la reconstruction rapide de Royan dans les années 1950, principalement à base de ciment Portland, n’avaient pas été conçus pour résister aussi longtemps à ces conditions. Les techniques de l’époque, privilégiant la rapidité d’exécution à la durabilité, ont souvent conduit à des épaisseurs d’enrobage insuffisantes et à des formulations de béton aujourd’hui considérées comme inadaptées à l’environnement marin.

Le conflit entre préservation patrimoniale et rénovation énergétique

La rénovation de ces bâtiments symboliques se heurte à une contradiction apparente : comment améliorer leur performance énergétique sans dénaturer leur valeur architecturale ? La plupart de ces constructions modernistes présentent des caractéristiques emblématiques – structures apparentes, grandes surfaces vitrées, toits-terrasses – qui constituent précisément leurs points de faiblesse thermique.

Le nouveau DPE 2021, devenu opposable, met une pression réglementaire sur ces édifices qui peinent à atteindre des classements favorables sans modifications substantielles. Mais ces modifications risquent de compromettre leur intégrité architecturale, souvent protégée au titre du patrimoine du XXe siècle.

L’enjeu est de taille : faut-il privilégier la performance énergétique théorique au détriment de l’authenticité patrimoniale ? Ou maintenir l’intégrité architecturale au prix d’une consommation énergétique excessive ? Cette tension illustre les limites d’une approche normative standardisée face à un patrimoine spécifique.

Pour une approche globale adaptée au cas par cas

La solution réside sans doute dans une méthode d’analyse globale qui prend en compte l’ensemble des facteurs de dégradation identifiés par Infociments – altérations chimiques, mécaniques et physiques – tout en intégrant les spécificités de chaque bâtiment.

Un nombre significatif d’édifices de Royan méritent un diagnostic précis qui évalue son état structural, sa valeur patrimoniale, son usage actuel et son potentiel d’amélioration énergétique. Cette approche individualisée permet d’établir une hiérarchie d’interventions adaptée à chaque cas, plutôt qu’une solution générique souvent inadéquate.

Pour les bâtiments emblématiques, cette stratégie pourrait consister à traiter prioritairement les pathologies structurelles – corrosion des armatures, fissuration du béton – avant d’envisager des améliorations énergétiques compatibles avec leur valeur architecturale. Des techniques modernes de passivation des armatures ou d’inhibiteurs de corrosion permettent aujourd’hui d’intervenir de façon moins invasive qu’auparavant.

Des solutions techniques innovantes mais respectueuses

Face aux trois types d’altérations identifiés par Infociments (chimiques, mécaniques, physiques), des solutions spécifiques peuvent être envisagées pour les bâtiments royannais :

Pour les altérations chimiques, des traitements électrochimiques permettent désormais de ralentir ou stopper la corrosion des armatures sans démolition massive. Des imprégnations hydrofuges peuvent limiter la pénétration des chlorures tout en préservant l’aspect des façades.

Concernant les altérations mécaniques, le renforcement structural peut s’effectuer par des techniques peu visibles, comme les renforts en fibres de carbone, préservant ainsi l’esthétique originelle.

Pour les altérations physiques, notamment l’exposition aux cycles gel/dégel et à l’abrasion, des revêtements protecteurs microporeuses peuvent être appliqués, offrant une protection tout en respectant la texture et l’aspect du béton d’origine.

L’amélioration énergétique peut, quant à elle, se concentrer sur les éléments moins visibles ou moins significatifs du point de vue patrimonial : optimisation des systèmes de chauffage, traitement des ponts thermiques ponctuels, amélioration de l’étanchéité à l’air, etc.

L’enjeu de durabilité : penser au-delà de l’étiquette énergétique

La vraie performance environnementale ne se résume pas à une note sur un diagnostic énergétique. Elle intègre la durabilité globale de l’édifice et son cycle de vie complet. Prolonger la vie d’un bâtiment existant, même imparfait thermiquement, est souvent plus écologique que de démolir pour reconstruire.

Le béton d’après-guerre de Royan avait été conçu pour durer quelques décennies, pas un siècle. Notre défi est de lui offrir cette longévité que ses concepteurs n’avaient pas anticipée, tout en améliorant progressivement son empreinte environnementale. Cette approche reconnaît que la durabilité des ouvrages constitue en soi un acte écologique majeur.

La carbonatation du béton, principal facteur de dégradation selon Infociments, présente d’ailleurs un paradoxe environnemental intéressant : elle correspond à une réabsorption naturelle du CO₂ par le béton au cours de sa vie. Des recherches récentes visent à optimiser ce phénomène pour augmenter le piégeage du carbone, transformant ainsi une pathologie en potentiel écologique.

Vers un nouveau modèle de rénovation patrimoniale

Royan pourrait devenir un laboratoire d’innovation en matière de rénovation respectueuse du patrimoine moderniste. En associant les connaissances scientifiques sur les facteurs de dégradation du béton à une vision patrimoniale exigeante, de nouvelles méthodologies pourraient émerger, applicables à d’autres sites confrontés aux mêmes défis.

L’enfer des rénovations ratées est pavé de bonnes intentions normatives. Une approche standardisée, qui plaque des solutions génériques sur un patrimoine spécifique, conduit souvent à des interventions qui dénaturent les bâtiments sans résoudre durablement leurs problèmes structuraux.

La vision binaire opposant conservation patrimoniale et performance environnementale n’est sans doute pas la plus pertinente. Elle appelle une approche nuancée qui comprend la spécificité de son patrimoine bétonné, analyse précisément les facteurs de sa dégradation, et propose des interventions sur mesure, alliant respect architectural et amélioration écologique progressive.C’est à ce prix que le béton d’après-guerre pourra traverser un autre demi-siècle sans perdre son âme, ni compromettre notre avenir environnemental. La lunette du DPE 2021 semble bien mal ajustée pour observer ce patrimoine d’exception. Il est temps d’adopter une vision plus large et plus subtile, qui réconcilie l’héritage du passé avec les exigences de l’avenir.

Pour aller plus loin : https://www.infociments.fr/genie-civil/les-facteurs-de-degradation-du-beton

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